Victoria, Canada — Une nouvelle étude menée par des astronomes canadiens à l’aide du télescope spatial James Webb (JWST) a révélé de nouvelles perspectives sur la formation des planètes. Dirigée par Dori Blakely, doctorante à l’Université de Victoria, l’étude a également bénéficié des contributions majeures de chercheurs de l’Institut Trottier de recherche sur les exoplanètes (IREx) de l’Université de Montréal, dont René Doyon, Loïc Albert et David Lafrenière. En exploitant les puissantes capacités du JWST, les chercheurs ont découvert des détails clés sur ces mondes naissants et le disque tourbillonnant de gaz et de poussière d’où ils émergent.
PDS 70 est une jeune étoile, âgée d’environ 5 millions d’années — pratiquement un nouveau-né comparé à notre Soleil, vieux de 4,6 milliards d’années. Autour d’elle se trouve un disque de gaz et de poussière, aplati comme une crêpe, avec un grand anneau au milieu où deux planètes, appelées PDS 70 b et PDS 70 c, sont en train de prendre forme. Cet espace est en quelque sorte une zone de construction planétaire, où ces nouveaux mondes s’emparent de la matière du disque pour croître.
« Ces observations nous donnent un aperçu des premières étapes de la croissance des planètes. Nous pouvons ainsi mieux comprendre ce qui se passe lorsque ces jeunes mondes rivalisent pour survivre dans leur pouponnière planétaire », a déclaré M. Blakely. « Ce qui est remarquable, c’est que nous pouvons voir non seulement les planètes elles-mêmes, mais aussi le processus même de leur formation : elles sont en compétition avec leur étoile et entre elles pour le gaz et la poussière dont elles ont besoin pour se développer. »
Pour obtenir une vue aussi claire des planètes et du disque, l’équipe a utilisé un mode spécial de NIRISS, l’imageur et spectrographe sans fente dans le proche infrarouge du JWST. Ce mode, appelé interférométrie à masque d’ouverture (Aperture Masking Interferometry, AMI) est une astuce ingénieuse du télescope. Ils ainsi ont placé un masque spécial comportant plusieurs trous minuscules sur le télescope, ce qui a permis à une petite fraction (environ 15 %) de la lumière de passer à travers et d’interagir, créant ainsi des motifs qui se chevauchent. Ce phénomène rappelle ce qu’on observe à la surface de l’eau lorsque deux cailloux sont lancés dans une marre et que leurs vagues se croisent. En analysant ces motifs, ils ont pu « voir » des détails cachés du système avec une précision extraordinaire.
« Cette technique innovante revient à éteindre le projecteur aveuglant que constitue la jeune étoile pour révéler ce qui l’entoure, dans ce cas-ci, des planètes », a expliqué le professeur René Doyon, directeur de l’Institut Trottier de recherche sur les exoplanètes (IREx) et chercheur principal de l’instrument NIRISS du JWST.
Grâce à sa capacité à observer des détails d’une précision inédite, le JWST révolutionne notre manière d’étudier les planètes et leurs origines. Cette nouvelle approche a permis à l’équipe de découvrir des caractéristiques que l’imagerie traditionnelle ne saurait détecter. L’étude démontre ainsi l’efficacité de ce concept révolutionnaire pour réaliser de telles observations avec le puissant télescope spatial.
« Ce travail montre comment le JWST peut faire quelque chose de complètement nouveau », a ajouté Loïc Albert, scientifique de l’instrument NIRISS du JWST. « Nous utilisons des méthodes novatrices pour observer les planètes comme nous ne l’avons jamais fait auparavant. »
Une image du système PDS 70 dans plusieurs longueurs d’onde révèle l’interaction dynamique entre ses planètes en formation (PDS 70 b et c) et leur environnement. La lueur rouge-jaune, basée sur les données de JWST et des modèles théoriques, révèle les planètes en formation et la lumière diffusée par de minuscules grains de poussière à la surface du disque. Ces grains de poussière sont si petits qu’ils diffusent la lumière principalement vers l’avant, ce qui explique pourquoi nous ne pouvons pas voir l’autre côté du disque. Le faible anneau bleu, capturé par le télescope Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (ALMA), met en évidence l’émission plus froide de grains de poussière plus gros situés dans l’ensemble du disque. Au cœur du système se trouve l’étoile centrale cachée, tandis que les cercles en pointillés marquent les positions prévues des planètes sur la base d’observations faites au sol précédemment. Photo crédit: Dori Blakely (University of Victoria/NRC)
Les planètes PDS 70 b et c s’accaparent la matière du disque, un peu comme des enfants qui se saisissent de blocs de construction pour bâtir une tour plus haute que leur voisin. Les chercheur.euse.s ont déterminé qu’elles semblent être en train d’accumuler du gaz, une phase critique de leur développement. Les observations ont permis de mesurer avec précision leur luminosité et leur emplacement.
Ces résultats apportent la preuve directe que les planètes sont encore en train de se former et sont en compétition directe avec leur étoile hôte pour s’approprier la matière contenue dans le disque. Cela appuie l’idée que les planètes se forment par un processus d’« accrétion », c’est-à-dire en soutirant progressivement le gaz et la poussière au disque qui les entoure. Cet instantané rare de planètes en pleine croissance pourrait aider les scientifiques à comprendre comment des mondes comme Jupiter et Saturne ont pu se former dans notre propre Système solaire.
« Ces observations nous donnent une occasion incroyable d’assister à la formation des planètes en direct », a déclaré Doug Johnstone, agent de recherche principal au Centre de recherche Herzberg en astronomie et en astrophysique du Conseil national de recherches Canada (CNRC). « Voir des planètes en train d’accréter de la matière nous aide à répondre à des questions de longue date sur la façon dont les systèmes planétaires se forment et évoluent. C’est comme si nous observions un système planétaire en train de se construire sous nos yeux. »
Les données suggèrent également que les planètes pourraient être entourées d’anneaux de matière appelés disques circumplanétaires. Ces disques pourraient être le lieu de formation de lunes, comme celles qui orbitent aujourd’hui autour de Jupiter et de Saturne.
Les nouvelles observations du JWST, réalisées dans l’infrarouge moyen, un régime de la lumière jamais exploité auparavant pour étudier ces planètes, ont révélé un excès de lumière qui ne peut pas être entièrement expliquée par les modèles. Cet excès suggère la présence de matière chaude autour des planètes, qui pourrait provenir de disques de matière en train de s’accréter activement sur celles-ci.
Cette nouvelle preuve renforce les arguments en faveur des disques circumplanétaires, qui jouent sans doute un rôle essentiel dans la formation des systèmes de lunes et la croissance des planètes.
Les découvertes du PDS 70 permettent aux astronomes de mieux comprendre comment les planètes et les étoiles se forment et évoluent ensemble. En observant ces planètes grandir et interagir avec leur environnement, les scientifiques apprennent comment les systèmes planétaires — comme le nôtre — se forment.
« C’est comme voir une photo de famille de notre système solaire lorsqu’il n’était encore qu’un petit enfant », a déclaré M. Blakely. « C’est incroyable de penser à tout ce que nous pouvons apprendre d’un seul système. »
En plus de toutes les révélations sur les planètes et les potentielles lunes de PDS 70, les observations contenaient une intrigante découverte. Une faible source lumineuse non résolue a été détectée dans le disque de poussières et de gaz. Bien que la nature de cette émission ne soit pas claire, les scientifiques ont des hypothèses : ce pourrait être un bras spiralé de gaz et de poussière, ou même une troisième planète en formation dans le système.
Des observations de suivi avec les autres instruments du JWST, notamment MIRI et NIRCam, seront essentielles pour confirmer si la lueur est une nouvelle planète, une caractéristique du disque ou quelque chose de tout à fait inattendu.
Cette recherche fait partie du programme NIRISS Guaranteed Time Observations, dirigé par Doug Johnstone. Cet article a été publié dans The Astronomical Journal le 12 février 2025. L’article complet est disponible à l’adresse suivante : https://iopscience.iop.org/article/10.3847/1538-3881/ad9b94.
Nous reconnaissons l’Agence spatiale canadienne pour son soutien financier à cette étude.
Contacts Scientifiques:
René Doyon
Chercheur principal de l’instrument NIRISS du JWST
Directeur de l’IREx
Université de Montréal
Loïc Albert
Scientifique de l’instrument NIRISS du JWST
Université de Montréal
Contact pour les médias:
Heidi White
Université de Montréal
Scientifique chargée des communications sur le JWST – Agence spatiale canadienne
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