Une équipe internationale d’astrophysiciens, menée par des chercheurs de l’Université de Montréal, a identifié une étoile sur laquelle se serait écrasé un astéroïde très riche en sodium, transformant ainsi drastiquement sa couleur apparente. Ces résultats suscitent de nombreuses questions quant à l’origine de cet étrange objet. Les travaux ayant conduit à cette découverte ont été menés par Simon Blouin et Patrick Dufour du Centre de recherche en astrophysique du Québec (CRAQ) et paraissent dans la revue The Astrophysical Journal.
L’étoile qui a reçu cette dose massive de sodium est une étoile de type naine blanche, connue sous le nom de WD J2356-209. Une naine blanche est le noyau dénudé d’une étoile qui a déjà épuisé toutes ses réserves de carburant nucléaire. Comme il n’y a plus de réactions nucléaires en son cœur, cette classe d’étoile est condamnée à se refroidir éternellement. Dans le cas de WD J2356-209, il s’agit d’une naine blanche très froide, et donc très âgée.
Les naines blanches sont des objets très compacts – typiquement la moitié de la masse du Soleil compressée dans un volume comparable à celui de la Terre. Par conséquent, le champ de gravitation à leur surface est 100 000 fois plus intense que sur Terre. Dans ces conditions, les éléments chimiques les plus légers, tels l’hydrogène et l’hélium, flottent à la surface tandis que les éléments plus lourds coulent vers le centre. La plupart des naines blanches sont donc enveloppées d’une mince couche composée exclusivement d’hydrogène ou d’hélium. Il y a cependant des exceptions. Ainsi, si certaines d’entre elles accrètent de la matière rocheuse – provenant de l’impact de comètes, d’astéroïdes ou de planètes naines – des éléments lourds, tel le calcium, le fer, le magnésium ou le sodium, sont alors visibles temporairement à leur surface. La présence de ces éléments additionnels affecte le spectre lumineux de la naine blanche, permettant ainsi de déterminer avec précision la composition chimique du corps rocheux s’étant échoué à sa surface.
Il y a près de 20 ans, WD J2356-209 a été scrutée à la loupe par le télescope de 10 mètres de l’observatoire W. M. Keck, à Hawaï. Déjà à l’époque, la couleur apparente de cette étoile semblait anormale. En principe, une naine blanche aussi froide que WD J2356-209 (environ 4 000 K) devrait paraître orangée. Or, au contraire, celle-ci semble plutôt bleutée, ce qui, normalement, est la signature d’une étoile très chaude. Par exemple, l’étoile Bételgeuse, située dans la constellation de Orion, apparaît rouge-orangée et la température à sa surface est d’environ 3 500 K, tandis que l’étoile Rigel, dans la même constellation, est plus chaude, soit environ 12 000 K, et apparaît blanc-bleutée.
Il a fallu plusieurs années de travail afin de mettre au point des modèles théoriques, simulant les conditions physiques présentes à la surface de naines blanches froides, avant de résoudre cette énigme. C’est dans le cadre de sa thèse de doctorat que Simon Blouin a développé ces modèles, permettant enfin de révéler les secrets de WD J2356-209.
L’étrange couleur de WD J2356-209 provient de la présence d’une quantité jamais vue de sodium à sa surface. Dans les conditions retrouvées à la surface de cette naine blanche, vieille et froide, le sodium absorbe si efficacement la lumière orangée que WD J2356-209 semble bleutée. Par analogie, on peut observer le phénomène inverse chaque nuit dans nos rues puisque les lampadaires au sodium produisent une lumière orangée. Si WD J2356-029 avait été plus jeune et chaude, la présence du sodium n’aurait pas provoqué de bleuissement de la surface.
C’est la première fois qu’une telle composition chimique est observée parmi les centaines de naines blanches ayant accrété de la matière rocheuse. La quantité totale de sodium observée à la surface de WD J2356-209 serait suffisante pour remplir tous les Grands Lacs, à ras bord! Notons toutefois qu’il s’agit de sodium et non de sel de table (i.e. chlorure de sodium – NaCl) puisqu’aucune trace de chlore n’a été détectée.
L’équipe d’astrophysiciens a déterminé qu’il faut un objet dont la masse est d’au moins 1018kg (ce qui correspond à un astéroïde d’environ 100 km de diamètre), contenant une grande abondance de minéraux riches en sodium, se désagrège à la surface d’une naine blanche pour reproduire les observations. À ce jour, aucun exemple de ce type d’astéroïde n’a été repéré dans notre Système solaire.
Finalement, l’analyse des observations de WD J2356-209 montre que cette dernière est l’une des plus vieilles naines blanches ayant accrété de la matière; l’objet qui s’y est échoué était en orbite autour d’elle depuis au moins 9 milliards d’années. L’étude d’objet comme WD J2356-209 permettra donc de mieux comprendre l’évolution à long terme des systèmes planétaires comme le nôtre puisqu’elle fixe une limite inférieure sur la durée durant laquelle un objet peut demeurer en orbite autour de son étoile.
Une copie de l’article, intitulé “A New Generation of Cool White Dwarf Atmosphere Models. III. WD J2356−209: Accretion of a Planetesimal with an Unusual Composition”, est disponible ici : http://arxiv.org/abs/1902.03219.
Prof. Patrick Dufour
Université de Montréal
Tél : (514) 343-7355
dufourpa@astro.umontreal.ca
Simon Blouin
Université de Montréal
Tél : (514) 343-6111 p.8746
sblouin@astro.umontreal.ca
Robert Lamontagne
Responsable des relations avec les médias
Centre de recherche en astrophysique du Québec
Tél : (438) 495-3482
lamont@astro.umontreal.ca
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