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Le Canada triple le nombre de galaxies connues dans le champ profond de galaxies de Webb grâce à NIRISS

The Webb Deep Field of Galaxies. (Credit : NASA/ESA/CSA/STScI)
The Webb Deep Field of Galaxies. (Credit : NASA/ESA/CSA/STScI)

Le 11 juillet 2022, le monde entier a pu voir la toute première image prise par le télescope spatial James Webb (JWST). Il s’agit d’une image désormais appelée le « Champ profond de galaxies de Webb« , centrée sur un amas de galaxies nommé SMACS 0723 et contenant plus de 7 000 galaxies ! Cette image s’est révélée être une cible importante pour l’étude de l’évolution des galaxies, car elle contient un grand nombre de galaxies très éloignées qui nous en dit beaucoup sur la façon dont les galaxies se sont formées et ont évolué au début de l’Univers. Cependant, jusqu’à présent, des mesures précises et complètes de la distance des galaxies dans ce champ manquaient.

Grâce à la contribution du Canada à la mission Webb, les choses ont changé ! Une équipe d’astronomes canadiens et internationaux, dirigée par Gaël Noirot, chercheur postdoctoral à l’Université Saint Mary’s à Halifax, a inspecté et analysé avec soin le vaste champ profond de galaxies de la mission Webb. Plus précisément, les astronomes, qui sont tous membres du programme nommé CANUCS (pour Canadian NIRISS Unbiased Cluster Survey), ont utilisé l’instrument canadien NIRISS (le Near Infra-Red Imager and Slitless Spectrograph) à bord du JWST pour recueillir les spectres des galaxies cibles de l’image. Ces spectres sont un type de données scientifiques créées en décomposant la lumière d’un objet pour révéler des informations supplémentaires telles que l’âge ou la distance de l’objet.

Grâce à l’instrument NIRISS du JWST fabriqué au Canada, l’équipe a maintenant mesuré le redshift, ou décalage vers le rouge, de près de 200 galaxies dont la distance par rapport à la Terre était inconnue jusqu’à présent. « L’instrument NIRISS est parfait pour cette tâche, car il peut mesurer les redshifts de centaines de galaxies à la fois », déclare M. Noirot, auteur principal de l’étude publiée ce mois-ci dans le Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.

Cette image illustre le principe du décalage vers le rouge cosmologique. Comme on peut le voir, la lumière provenant de galaxies lointaines est étirée vers des longueurs d’onde plus grandes au fur et à mesure qu’elle voyage dans notre Univers en expansion. Lorsqu’elle est observée avec un télescope comme le JWST, la lumière de ces galaxies apparaît plus rouge qu’elle ne l’était à l’origine, car les grandes longueurs d’onde correspondent à des couleurs plus rouges. Image originale, non éditée (CSA/STSCI) : https://www.asc-csa.gc.ca/fra/multimedia/recherche/image/15614.

Le décalage vers le rouge est une mesure précise de la distance d’une galaxie basée sur les signatures chimiques uniques observées dans son spectre. En raison de l’expansion de l’Univers, la lumière émise par les objets lointains tels que les galaxies est étirée et leurs caractéristiques spectrales sont observées à des longueurs d’onde plus longues (c’est-à-dire plus rouges) que celles émises à l’origine (Figure 1). Ce décalage vers le rouge, qui correspond à la différence entre la couleur observée et la couleur émise d’un objet, nous renseigne sur sa distance par rapport à nous.

« Notre travail sur SMACS 0723, le premier champ profond de galaxies de Webb et la première image scientifique révélée par le JWST, a produit le plus grand catalogue spectroscopique du JWST avec des mesures fiables du décalage vers le rouge », explique Marcin Sawicki, professeur et titulaire de la chaire de recherche du Canada à l’Université Saint Mary’s et co-auteur de l’étude. « Notre étude récemment publiée constitue une ressource précieuse pour la communauté astronomique et ouvre de nouvelles voies de recherche dans le premier champ profond de galaxies du JWST », ajoute M. Noirot.

À partir de ce catalogue de redshifts, les chercheurs ont découvert de nombreuses nouvelles galaxies membres de l’amas SMACS 0723, dont la lumière a mis plus de 4 milliards d’années à nous parvenir. Les amas, qui sont d’immenses groupes de galaxies maintenus ensemble par la force de gravité, peuvent contenir jusqu’à des milliers de galaxies. Leur étude nous aide à comprendre l’évolution des galaxies dans certains des environnements les plus extrêmes de l’Univers, et nous permet d’observer la distribution de la matière noire et l’évolution des structures.

« En tant que projet dirigé par le Canada, nous sommes d’autant plus enthousiastes que cette amélioration significative par rapport aux études précédentes de SMACS 0723 a été rendue possible par les capacités spectroscopiques de l’instrument canadien NIRISS à bord du JWST », mentionne Chris Willott du Conseil national de recherches du Canada (CNRC) et chef de projet de l’équipe CANUCS, financée par l’Agence spatiale canadienne. « Cette technologie canadienne nous permet d’utiliser le JWST à son plein potentiel », explique René Doyon, directeur de l’Institut Trottier de recherche sur les exoplanètes et professeur titulaire à l’Université de Montréal ainsi que chercheur principal de l’instrument NIRISS. Cet instrument a été financé par l’Agence spatiale canadienne et conçu, construit et testé par Honeywell Aerospace à Cambridge et à Ottawa, avec des contributions de composants optiques clés de l’Université de Montréal.

Dans leur vaste catalogue de décalages vers le rouge des galaxies du champ profond, les chercheurs ont identifié trois autres surdensités de galaxies à des distances beaucoup plus grandes que SMACS 0723 et qui n’avaient pas été observées auparavant dans ce champ (Figure 2). Ces surdensités de galaxies sont potentiellement de nouveaux amas de galaxies, situés à des distances de 8 à 10 milliards d’années-lumière. L’identification de ces surdensités de galaxies à différentes époques cosmiques revient à regarder une vidéo en accéléré de la croissance de ces amas, depuis leur enfance dans un Univers jeune jusqu’à aujourd’hui. Ces amas représentent des cibles idéales pour de futures études visant à mieux comprendre comment les amas et les galaxies qu’ils abritent ont évolué depuis leur état au tout début de l’Univers jusqu’à leur apparence actuelle, y compris notre propre galaxie, la Voie Lactée.

Cette image montre le champ profond de galaxies de Webb, la toute première image scientifique dévoilée par le JWST. Les galaxies qui font partie de l’amas de galaxies SMACS 0723 apparaissent majoritairement blanches sur cette image. Les galaxies qui apparaissent plus rouges et/ou allongées sont des galaxies lointaines situées derrière SMACS 0723. Parmi celles-ci, celles encadrées en bleu font partie de l’une des surdensités de galaxies récemment découvertes et publiées dans le nouveau catalogue des “redshifts”. Le « Sparkler » est une galaxie imagée trois fois en raison d’un effet appelé lentille gravitationnelle et dont la lumière a été amplifiée et déformée. Grâce à cet effet, les chercheurs de CANUCS ont découvert l’année dernière que cette galaxie abrite de nombreuses « étincelles » lumineuses qui sont potentiellement certains des plus anciens amas d’étoiles jamais observés (pour plus d’information, voir https://www.utoronto.ca/news/researchers-reveal-galaxy-sparkling-universe-s-oldest-star-clusters). Les galaxies encadrées en rouge sont des membres potentiels de l’amas de galaxies récemment découvert qui contient la galaxie Sparkler. Les chercheurs suivront l’évolution du Sparkler et de sa famille de galaxies grâce à des observations supplémentaires du JWST qu’ils obtiendront dans ce champ. Crédit d’image : NASA, ESA, CSA, STScI. Vignettes d’images : Shannon MacFarland (SMU).

En attendant ces futures études, l’équipe CANUCS a déjà découvert la magnifique galaxie « Sparkler » au sein de l’un de ces amas de galaxies. Le Sparkler est une galaxie amplifiée par un effet gravitationnel, située à quelque 9 milliards d’années-lumière, et qui contient ce qui semble être les plus anciens amas d’étoiles à s’être formés après le Big Bang. La galaxie Sparkler a fait la une de l’actualité mondiale lorsqu’elle a été découverte par l’équipe CANUCS en septembre 2022. Le nouveau catalogue NIRISS de redshifts de l’équipe vient de révéler que la galaxie Sparkler n’est pas une galaxie isolée, mais qu’elle réside dans l’une des surdensités de galaxies nouvellement découvertes. « Le fait que la galaxie Sparkler ne vive pas seule mais fasse partie d’une famille de galaxies a des implications importantes sur la façon dont les premiers amas d’étoiles se sont formés après le Big Bang », explique M. Sawicki, qui était également l’un des co-auteurs de cette étude.

L’équipe d’astronomes aura l’occasion d’améliorer leur catalogue de décalages vers le rouge au cours de la deuxième année d’exploitation scientifique de Webb, en cours, car ils ont obtenu du temps supplémentaire pour réobserver le champ profond de galaxies de Webb de manière encore plus détaillée à l’aide de l’instrument NIRISS. « La communauté astronomique a clairement reconnu la valeur de notre premier catalogue NIRISS de décalages vers le rouge et souhaite que nous en fassions une autre version, encore meilleure, dans le premier champ profond du JWST », déclare M. Noirot, qui est également le chercheur principal de ce programme d’observation.

L’équipe indique que son catalogue et les résultats de son étude ont déjà permis à plusieurs équipes indépendantes de poursuivre leurs travaux dans le premier champ profond du JWST, et que leur étude permet des recherches supplémentaires sur la formation des galaxies, la distribution de la matière noire et l’évolution de l’Univers.

 

Pour plus d’info

Lien à l’article scientifique sur MNRAS: https://academic.oup.com/mnras/article-abstract/525/2/1867/7115326
Lien à l’article scientifique sur arXiv: https://arxiv.org/abs/2212.07366

 

Contact scientifique

René Doyon
Chercheur principal de NIRISS
Institut Trottier de recherche sur les exoplanètes, Université de Montréal
rene.doyon@umontreal.ca
Tél : 514-3495779

 

Contact média

Nathalie Ouellette
Scientifique chargée des communications sur le télescope Webb
Institut Trottier de recherche sur les exoplanètes, Université de Montréal
nathalie@astro.umontreal.ca
Tél : 613-531-1762