
Les naines brunes sont plus massives que les planètes, mais pas autant que les étoiles. Crédit : traduction libre d’une image de NASA/JPL-Caltech.
Plusieurs naines brunes, ces astres de masse intermédiaire entre les étoiles et les planètes, sont présentement sous la loupe du télescope spatial James Webb. Sur l’une d’entre elle, surnommée l’« Accident », une équipe internationale vient de détecter une molécule qui n’avait jamais été observée ailleurs : le silane SiH4. Cette découverte a été publiée dans la revue Nature à la fin du mois d’août.
Pour comprendre cette découverte et son importance, Jonathan Gagné, Conseiller Scientifique au Planétarium de Montréal, Professeur associé à l’Université de Montréal et membre de l’Institut Trottier de recherche sur les exoplanètes (IREx), a répondu à quelques unes de nos questions.
IREx : Qu’est-ce qui rend cette découverte spéciale?
Jonathan : C’est la première fois qu’on détecte la molécule de silane dans l’atmosphère d’un astre. C’est une molécule relativement simple, formée d’un atome de silicium et de quatre atomes d’hydrogène. Il n’y en n’a que très peu naturellement sur Terre. On en fabrique en laboratoire et en industrie, par exemple pour des revêtements en électronique et les panneaux solaires.
Ailleurs dans l’Univers, nos modèles prédisaient que le silane devait se trouver dans l’atmosphère des planètes géantes de notre Système solaire et d’ailleurs, de même que dans celles des naines brunes. On n’arrivait toutefois pas à la détecter, et tout le monde se demandait pourquoi.
Cette détection nous a finalement permis de comprendre! On a réalisé que dans des mondes dont l’atmosphère est riche atomes plus lourds que l’hydrogène (ce que les astronomes nomment des « métaux »), le silane n’est pas détecté car tous les atomes de silicium ont été utilisés dans la formation de nuages de silicates. Ces nuages sont trop profonds dans l’atmosphère des géantes gazeuses et naines brunes pour qu’on puisse les observer. Même sur Jupiter, qu’on a pu étudier de près, avec des sondes comme Juno, on n’a pas pu l’apercevoir.
WISEA J153429.75-104303.3 (ou WISE 1534−1043 pour faire court), qu’on surnomme aussi l’« Accident », est une naine brune avec une composition chimique vraiment unique, car elle est très vieille, entre 10 et 13 milliards d’années. Au fil du temps, des éléments comme le carbone, l’azote et l’oxygène se sont formés dans le cœur des étoiles, de sorte que les planètes, les naines brunes et les étoiles créées plus récemment possèdent une proportion plus importante de ces éléments. En observant l’« Accident », on a enfin pu voir la fameuse molécule de silane, parce que l’atome de silicium est disponible : son atmosphère n’a pas l’oxygène requis pour piéger cet atome dans des nuages de silicates.
IREx : D’où vient le surnom l’« Accident » ?
Jonathan : Cette naine brune a été découverte par Dan Caselden, un citoyen qui participait au projet de science participative Backyard Worlds. En examinant, pour une toute autre raison, une image d’une portion du ciel prise par le télescope spatial NEOWISE, il a remarqué un objet aux couleurs étranges qui se déplaçait rapidement. Comme c’était une découverte totalement fortuite, l’équipe lui a donné le surnom l’« Accident ».
Depuis, on a découvert que c’est l’une des naines brunes les plus étranges jamais observées, avec une chimie complètement différente des autres.
IREx : Comment en avez-vous appris plus sur cet astre unique?
Jonathan : Après la découverte initiale en 2020, l’équipe scientifique de Backyard Worlds a tenté de comprendre cet objet étonnant en l’observant notamment avec les télescopes spatiaux Hubble et Spitzer. Plus récemment, ma collègue Jackie Faherty, du Muséum américain d’histoire naturelle, a obtenu du temps pour l’étudier grâce au télescope spatial James Webb, ce qui nous a enfin permis de sonder son atmosphère.
IREx : Quel a été ton rôle?
Jonathan : Ma contribution a notamment été d’utiliser les observations du télescope Webb pour calculer le mouvement de la naine brune dans la Galaxie. Cela nous a aidé à confirmer que cet objet est sans doute extrêmement vieux. Il s’est formé à une époque où l’Univers contenait beaucoup moins d’éléments lourds qu’aujourd’hui.
IREx: Qu’est-ce que cette découverte change pour l’avenir?
Jonathan : Elle montre que la formation des nuages dans les atmosphères peut transformer radicalement la chimie qu’on observe. Cela explique pourquoi certaines molécules prévues par nos modèles manquent à l’appel dans les planètes du Système solaire.
On a encore beaucoup à apprendre : d’autres observations avec Webb sont en cours, et elles pourraient révéler s’il y a d’autres types de nuages ténus dans cette atmosphère… ou pas du tout! Chaque découverte de ce genre nous rapproche d’une compréhension globale des planètes et des mondes lointains.
IREx: Pourquoi t’intéresse-tu à l’étude des naines brunes, toi?
Jonathan : Parce que c’est intéressant d’en apprendre plus sur tout ce qui se trouve dans l’Univers!
En plus, étudier ces objets nous aide à mieux comprendre les planètes géantes du Système solaire, Jupiter et Saturne, de même que les exoplanètes géantes gazeuses en général. Les naines brunes ne sont pas exactement des planètes, mais elles y ressemblent beaucoup ! Et c’est beaucoup plus facile d’étudier leur atmosphère parce qu’il n’y a pas d’étoile brillante à côté qui aveugle nos instruments. On connaît maintenant environ trois milles naines brunes, avec des atmosphères gazeuses très complexes, des nuages qui évoluent. Ces objets aux propriétés diversifiées nous permettent de tester nos modèles physiques dans toutes sortes de conditions.
Note : Cette entrevue, inspirée d’un entretien écrit avec Jonathan Gagné et du communiqué de presse émis par la NASA, a été éditée dans un souci de clarté.
Pour en savoir plus
L’article Silicate precursor silane detected in cold low-metallicity brown dwarf est paru dans l’édition du 20 août 2025 de la revue Nature. En plus Jackie Faherty, du Muséum américain d’histoire naturelle, qui a mené l’étude, et de Jonathan Gagné de l’IREx, l’équipe comprend 29 autres co-auteurs des États-Unis, du Royaume-Uni, et de l’Europe.
Contacts
Personnes-ressources pour les médias
Marie-Eve Naud
Coordonnatrice à l’éducation et aux communications scientifiques
Institut Trottier de recherche sur les exoplanètes (IREx), Université de Montréal
514-279-3222
marie-eve.naud@umontreal.ca
Contact scientifique
Jonathan Gagné
Conseiller Scientifique, Planétarium de Montréal, Espace pour la vie
Professeur associé, Université de Montréal
jonathan.gagne@montreal.ca
Liens
L’autrice principale, Jackie Faherty, a présenté La Grande conférence de l’IREx en 2025 (disponible sur YouTube)