Jonathan Gagné, ancien chercheur postdoctoral Banting de l’Institut de recherche sur les exoplanètes (iREx) aujourd’hui conseiller scientifique au Planétarium Rio Tinto Alcan, a participé à la découverte d’une planète de la taille de Neptune autour de la jeune étoile AU Microscopii. Cela faisait plus d’une décennie que les astrophysiciens cherchaient des planètes dans ce système, qui constitue un laboratoire unique pour étudier la formation planétaire. Cette percée, annoncée aujourd’hui dans la revue Nature, a été réalisée notamment grâce aux télescopes spatiaux TESS et Spitzer de la NASA.
Située à environ 32 années-lumière de la Terre, l’étoile AU Microscopii ou AU Mic est une jeune étoile âgée entre 20 et 30 millions d’années. Elle est donc quelque 180 fois plus jeune que le Soleil. Dans les années 2000, on a découvert qu’elle était encore entourée d’un imposant disque de débris, reliquat de sa formation. Depuis, les astrophysiciens cherchent activement des planètes autour de cette étoile étant donné que c’est au sein de tels disques de poussières et de gaz qu’elles se forment.
Jonathan Gagné, qui a participé aux observations et au traitement des données, explique pourquoi il a fallu près de 15 ans pour mettre au jour cette planète : « AU Mic est une petite étoile, qui fait environ 50% de la masse du Soleil. Ces étoiles possèdent généralement de très forts champs magnétiques, ce qui les rend très actives. Les nombreuses taches et éruptions à la surface d’AU Mic nuisent à la détection de planètes, qui est déjà compliquée par la présence du disque. »
C’est en 2010 que l’équipe de Peter Plavchan, professeur adjoint à l’Université George Mason, a commencé à observer cette étoile au sol, avec le Infrared Telescope Facility (IRTF) de la NASA, situé à Hawai’i. Ce télescope opère dans l’infrarouge, un type de lumière où l’activité de l’étoile est moins intense.
Jonathan Gagné, qui pendant ses études doctorales a fait de nombreux séjours d’observation à ce télescope, s’est joint à l’équipe en 2014. Il raconte : « C’est en 2016 que nous avons remarqué une possible variation périodique de la vitesse radiale d’AU Mic. Cela nous a mis la puce à l’oreille. » Ce mouvement peut en effet indiquer la présence d’une planète, car celle-ci, en se déplaçant le long de son orbite, exerce une attraction gravitationnelle sur l’étoile, qui oscille alors légèrement sur elle-même.
La précision des données obtenues au sol n’était toutefois pas suffisante pour confirmer que le signal était dû à une exoplanète. L’équipe a plutôt réussi à confirmer la présence d’AU Mic b grâce à une autre méthode, dite de transit. Un transit survient quand une planète passe directement entre nous et son étoile hôte, cachant ainsi une petite fraction de sa lumière périodiquement. Les astronomes ont observé deux transits de la planète lors de la première mission de TESS (pour Transiting Exoplanet Survey Satellite), à l’été 2018, puis deux autres avec le télescope spatial Spitzer de la NASA en 2019. Comme la quantité de lumière bloquée dépend de la taille de la planète et de sa distance de son étoile, ces observations permettent de déterminer qu’AU Mic b fait environ la taille de Neptune et qu’elle passe devant son étoile tous les 8,5 jours.
La masse de la planète, elle, est partiellement contrainte par les observations faites précédemment au sol. En combinant les observations de l’IRTF avec celles de deux autres télescopes, l’Observatoire européen austral au Chili et l’observatoire W. M. Keck à Hawaii, l’équipe déduit que la masse est inférieure à environ 3,4 fois la masse de Neptune (ou 58 fois celle de la Terre).
AU Mic fournit un laboratoire unique pour déterminer comment les planètes et leurs atmosphères se forment, et comment elles interagissent avec le disque de débris et de gaz qui les voit naître. Les astrophysiciens se réjouissent de cette découverte, car on connaît peu de systèmes comme celui d’AU Mic. Non seulement la détection d’exoplanètes est difficile dans ces systèmes, mais ils sont aussi très rares parce que la période de formation planétaire est relativement courte par rapport à la vie d’une étoile.
Le système est proche de nous et ainsi nous apparaît plus brillant, ce qui permet de l’observer avec une panoplie d’instruments, comme le spectrographe SPIRou. Étienne Artigau, un chercheur de l’iREx, explique : « Cet instrument, avec ses capacités polarimétriques, permettra de mieux distinguer les effets de l’activité de l’étoile qui se confondent souvent avec le signal des planètes. On pourra ainsi établir la masse d’AU Mic b avec précision et savoir si cette planète ressemble à une grosse Terre ou plutôt à une jumelle de Neptune. » D’autres astronomes de l’iREx sont enthousiastes à l’idée de tenter de détecter l’atmosphère possiblement étendue de la planète, ce qui peut aussi être accompli avec SPIRou.
L’un des intérêts de cette découverte est qu’AU Mic fait partie d’une association d’étoiles jeunes, des astres qui se sont formés à peu près en même temps et au même endroit. Beta Pictoris, l’étoile qui donne son nom à cette association, possède aussi un disque et a deux planètes connues. L’étoile et ses planètes sont toutefois beaucoup plus massives (1,75 fois la masse du Soleil et 11 et 9 fois la masse de Jupiter, respectivement) et ne semblent pas avoir évolué de la même manière. L’étude de ces deux systèmes qui ont beaucoup de caractéristiques communes permet de comparer deux scénarios de formation planétaires très différents.
Il y a fort à parier que ce système réserve encore bien des surprises. Quelle est la nature d’AU Mic b? Est-ce que davantage d’observations avec TESS ou au sol confirmeront l’existence d’autres planètes autour d’AU Mic? Que révélera l’étude de l’atmosphère de la planète? Comment ce système se compare-t-il à d’autres du même âge? Les chercheurs de l’iREx sont impatients d’obtenir les réponses à ces questions!
L’article « A planet within the debris disk around the pre-main-sequence star AU Microscopii » est paru dans l’édition du 25 juin 2020 de la revue Nature. En plus de Jonathan Gagné (Université de Montréal et Planétarium Rio Tinto Alcan), troisième auteur de l’article, l’équipe comprend l’auteur principal Peter Plavchan, professeur adjoint à l’Université George Mason, le second auteur Thomas Barclay, de l’Université du Maryland et 82 autres coauteurs, dont l’ancien étudiant à la maîtrise à l’iREx David Berardo (aujourd’hui étudiant au doctorat au Massachusetts Institute of Technology).
Marie-Eve Naud
Coordonnatrice scientifique à l’éducation et au rayonnement
Institut de recherche sur les exoplanètes, Université de Montréal, Montréal, Canada
514-279-3222 naud@astro.umontreal.ca
Nathalie Ouellette
Coordonnatrice
Institut de recherche sur les exoplanètes, Université de Montréal, Montréal, Canada
613-531-1762 nathalie@astro.umontreal.ca
Jonathan Gagné
Conseiller Scientifique / Scientific Advisor
Planétarium Rio Tinto Alcan | Espace pour la vie, Montréal, Canada
jonathan.gagne@montreal.ca
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