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Le spectrographe NIRPS: Entrevue avec nos astronomes

L'Observatoire de La Silla au Chili. (Crédit: ESO)
L'Observatoire de La Silla au Chili. (Crédit: ESO)

Le Near InfraRed Planet Searcher (NIRPS) est un instrument qui a été tout récemment installé au télescope de 3.6 mètres de l’Observatoire de La Silla au Chili. Sa conception a été menée par une collaboration internationale dirigée par l’équipe de l’Observatoire du Mont-Mégantic (OMM) et de l’Institut de recherche sur les exoplanètes (iREx) de l’Université de Montréal et l’Observatoire astronomique de l’Université de Genève en Suisse.

L’équipe canadienne, qui inclut aussi le Centre de recherche Herzberg en astronomie et en astrophysique du Conseil national de recherches du Canada et le Centre d’optique, de photonique et de lasers (COPL) de l’Université Laval, a contribué à la conception et à la conception du spectrographe de NIRPS. C’est d’ailleurs dans les locaux du COPL que le professeur Simon Thibault et son équipe, en collaboration avec l’équipe de l’OMM et de l’iREx, ont mené des tests mécaniques et optiques.

Le spectrographe NIRPS: Entrevue avec nos astronomes

Le cryostat du spectrographe de NIRPS, qui permet de maintenir l’instrument à de très basses températures. Crédit: A.-S. Poulin Girard.

En janvier 2022, le spectrographe de NIRPS était prêt pour son grand voyage. Il a quitté les laboratoires de l’Université Laval pour se rendre au Chili, pour finalement atteindre l’Observatoire de La Silla en mars.

La phase d’installation et de tests du spectrographe a alors pu débuter. Anne-Sophie Poulin Girard, Hugues Auger et Guillame Alain, de l’Université Laval, accompagnés de Benjamin Kung, Alex Segovial et François Wildi, de l’Observatoire astronomique de l’Université de Genève en Suisse, ainsi que de Frédérique Baron, Philippe Vallée, Étienne Artigau et Charles Cadieux, de l’Observatoire du Mont-Mégantic et de l’iREx, sont allés sur site pour installer l’instrument et le faire fonctionner avant qu’il puisse observer le ciel pour la première fois.

Nous avons posé quelques questions à Étienne ArtigauCharles Cadieux et Frédérique Baron, membres de l’iREx qui ont participé à ces activités d’installation et de tests.

Étienne Artigau (à gauche), Charles Cadieux (au centre) et Frédérique Baron (à droite) avec le NIRPS.

Étienne Artigau (à gauche), Charles Cadieux (au centre) et Frédérique Baron (à droite) avec le NIRPS. Crédit Photos de courtoisie (gauche et centre), Gaspare Lo Curto (droite).

 

iREx: Pourquoi es-tu allé au Chili? Qui es-tu et quel est ton rôle dans ce projet?

Étienne: Je suis chercheur à l’Université de Montréal et c’est moi le responsable scientifique du projet NIRPS : je coordonne les projets scientifiques sur l’instrument. Je suis aussi très impliqué dans l’analyse des données et la transformation des données qui sont prises avec le NIRPS pour les transformer en mesures utilisables pour la recherche en astronomie. Ce n’est cependant pas à ce titre que j’ai participé à la mission en avril dernier. Mon rôle était alors d’assister Philippe Vallée, spécialiste mécanique, dans les tout derniers tests avant de refroidir l’instrument pour la première fois.

Charles: Je suis étudiant au doctorat en astrophysique à l’Université de Montréal et membre de l’équipe scientifique de NIRPS. Je suis allé au Chili, plus précisément à l’Observatoire de La Silla, dans le cadre de l’installation de NIRPS. Mon projet scientifique au doctorat se consacre à l’étude de petites exoplanètes tempérées. Je tente en particulier de mesurer leur masse et leur composition, ce qui requiert des observations avec un instrument tel que le NIRPS.

Frédérique: Je suis la gestionnaire adjointe de NIRPS. Je suis allée au Chili pour pouvoir participer à la première phase d’installation de NIRPS. En particulier, avec Alex Segovia, nous avons installé et testé les différents appareils électroniques qui permettent de contrôler les systèmes installés dans le cryostat, la chambre étanche qui permet de maintenir l’instrument à de très basses températures.

 

iREx: Raconte-nous ton séjour!

Étienne: Tout d’abord ça a très mal commencé! Épidémie de COVID oblige, j’ai dû faire les tests PCR avant le départ… et mon test a été perdu par le laboratoire! Après quelques moments anxiogènes passés au téléphone, on a pu me trouver un test rapide à faire à l’aéroport. Une fois à Santiago, j’ai pu enfin sortir de l’hôtel de l’aéroport, pour me rendre à la résidence de l’Observatoire qui accueille les astronomes de passages et profiter un peu de la ville. Le lendemain, départ pour l’Observatoire de La Silla; un saut de puce 500 km en avion pour se rendre à La Serena, un trajet de 2h en camion et enfin l’Observatoire.

Une fois sur place, tous les jours se ressemblent et rien ne marque le passage du temps. On se lève vers 7h du matin, et on ne doit faire trop de bruit, car il y a des collègues qui viennent tout juste de se coucher dans les chambres voisines! Il y a un petit déjeuner à la cafétéria de l’Observatoire et on file ensuite au télescope pour travailler sur l’instrument.

Un guacano à l'Observatoire de La Silla

Un guacano à l’Observatoire de La Silla. (Crédit: É. Artigau)

Le site de l’Observatoire de La Silla est assez étendu et le télescope est à près de 2km des chambres. Une auto est à notre disposition, mais on essaie de faire la marche quand le temps le permet, il y a des guanacos un peu partout dans les environs et c’est un cadre absolument magnifique!

Il y a une foule de petites tâches à effectuer sur l’instrument NIRPS. Au moment de mon passage au mois d’avril, l’instrument était sous vide et on s’apprêtait à démarrer la phase de refroidissement pour que la température du spectrographe descende à près de -200℃. La moindre fuite dans le cryostat pourrant compromettre sérieusement le projet, on s’assure donc de les éliminer toutes!

Le soir venu, j’ai participé à plusieurs reprises aux observations avec les techniciens pendant la première moitié de la nuit. Ce fut très utile pour moi, car nous aurons à mener de nombreuses nuits d’observations au cours des cinq prochaines années, tant en personne qu’à distance.

Charles: C’était la première fois que je me déplaçais à l’Observatoire, où j’ai passé deux semaines. Une bonne partie de mon temps a été consacrée à apprendre le fonctionnement du télescope de 3.6 mètres, le plus grand sur place, où est installé le NIRPS. Je me suis familiarisé avec la salle de contrôle de l’instrument, où sont lancées les séquences d’observations et de calibrations. Lors de mon séjour, j’ai entre autres effectué des vérifications de routine du système de refroidissement de NIRPS, optimisé la séquence de calibrations de l’instrument et aidé à réaligner l’entrée d’une des fibres optiques, une opération cruciale pour assurer le bon fonctionnement de NIRPS.

 

iREx: Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce projet? Quel aspect trouves-tu le plus excitant?

Étienne: En échange de la conception de l’instrument, notre équipe a obtenu 720 nuits étalées sur 5 ans, ce qui est absolument énorme! Ça va nous permettre de faire ce qu’aucune autre équipe au monde ne peut se permettre en termes d’échelle de projets d’observations.

L’analyse des données m’amuse aussi beaucoup! C’est comme faire un wordle ou un sudoku, mais à une échelle bien plus grande. On sait que dans des téraoctets de données se cache le signal d’une planète qui pourrait abriter la vie… il ne reste plus qu’à le déchiffrer.

CharlesLe NIRPS sera l’un des spectrographes infrarouges les plus performants au monde. Il sera aussi possible d’opérer le NIRPS simultanément avec le spectrographe de renommée mondiale HARPS, un instrument complémentaire, car sensible à la lumière visible, qui est en service depuis de nombreuses années au même télescope. Obtenir en même temps le spectre d’une étoile dans le visible et l’infrarouge facilite l’identification de signaux liés à son activité magnétique, qui peuvent parfois être confondus avec des signaux d’exoplanètes. Le combo NIRPS + HARPS sera donc très efficace pour étudier les exoplanètes. Par exemple, on sera en mesure de déterminer la composition chimique de l’atmosphère d’exoplanètes similaires à la Terre.

 

iREx: Qu’est-ce qui a été le plus gros défi? 

Charles: Dans mon cas, le plus gros défi était d’apprendre rapidement le fonctionnement de NIRPS et des installations de La Silla.

Frédérique: Le plus gros défi pour moi ne s’est pas posé lors de mon séjour à La Silla, mais plus avant (et après!). L’installation de NIRPS à La Silla a nécessité la présence de plusieurs personnes sur site en plus d’une interaction constante avec des collègues à Montréal et à Genève. Les différentes phases d’installation de l’instrument demandant des gens avec des habilités différentes, ce fut tout un casse-tête d’organiser l’horaire le plus optimal. Finalement, tout s’est bien passé et nous avons même fini notre travail avec un peu d’avance!

 

iREx: Qu’est-ce que tu as le plus aimé à propos de ton expérience?

Timelapses à l’Observatoire de La Silla. (Crédit: É. Artigau)

Étienne: Les nuits sont absolument féériques, surtout quand la lune se couche! L’altitude de La Silla est optimale pour l’observation, car plus haut le déficit en oxygène rend l’oeil moins sensible à la faible luminosité des étoiles. Je me suis amusé à faire des vidéos en accéléré (timelapse) pour montrer l’ambiance des nuits sur la montagne.

Charles: J’ai adoré me trouver sur le site, qui se situe en plein désert à une altitude de 2400 mètres. J’y ai effectué des rencontres formidables avec des astronomes d’un peu partout dans le monde. Ce fut un grand honneur d’avoir participé à la phase de préparation de NIRPS.

Frédérique: Le ciel de La Silla est absolument magnifique! Étant habituée à l’Observatoire du Mont-Mégantic, j’ai été particulièrement heureuse de pouvoir regarder les étoiles à l’extérieur sans avoir froid!