Une équipe dirigée par l’iREx a mesuré la composition de l’atmosphère d’une exoplanète de type Jupiter chaude nommée Tau Boötis b, permettant une meilleure compréhension de ces planètes géantes.
À l’aide du spectropolarimètre infrarouge (SPIRou) installé au télescope Canada-France-Hawaii, une équipe dirigée par Stefan Pelletier, étudiant de doctorat à l’Institut de recherche sur les exoplanètes (iREx) de l’Université de Montréal, a étudié l’atmosphère de l’exoplanète géante gazeuse Tau Boötis b, un monde brûlant qui met à peine trois jours à tourner autour de son étoile hôte.
L’analyse détaillée, présentée dans un article publié aujourd’hui dans l’Astronomical Journal, montre que l’atmosphère de la planète gazeuse contient du monoxyde de carbone, comme il était attendu, mais n’a pas permis d’identifier d’eau, une molécule qu’on pensait pourtant répandue sur ce type de planète et que SPIRou aurait dû pouvoir détecter facilement.
Tau Boötis b a été l’une des premières exoplanètes découvertes, en 1996. Son atmosphère avait été scrutée quelques fois auparavant, mais jamais avec un instrument aussi sensible que SPIRou.
C’est une planète qui est 6,24 fois plus massive que Jupiter et 8 fois plus proche de son étoile hôte que Mercure l’est du Soleil. Située à seulement 51 années-lumière de la Terre et 40 % plus grosse que le Soleil, son étoile, Tau Boötis, est visible à l’œil nu dans la constellation de Boötes. C’est l’une des étoiles les plus brillantes autour de laquelle on a repéré une exoplanète.
En supposant que Tau Boötis s’est formée dans un disque protoplanétaire qui avait une composition similaire à celui au sein duquel s’est formé notre Système solaire, les modèles montrent que la vapeur d’eau devrait être présente en grande quantité dans son atmosphère. Elle aurait donc dû être facile à détecter avec un instrument tel que SPIRou.
«En analysant les données amassées sur Tau Boötis b, nous nous attendions à découvrir d’importantes quantités d’eau, et peut-être un peu de monoxyde de carbone, dit Stefan Pelletier. Nous avons cependant été surpris de trouver le contraire: du monoxyde de carbone, mais aucune détection d’eau.»
L’équipe a redoublé d’ardeur pour s’assurer que les résultats ne pouvaient pas être attribués à des problèmes liés à SPIRou ou à l’analyse des données.
«Une fois que nous avons été convaincus que la teneur en eau était effectivement beaucoup plus faible que prévu sur Tau Boötis b, nous avons pu commencer à chercher des mécanismes de formation qui pourraient expliquer ce résultat singulier», ajoute le doctorant.
«Les Jupiter chaudes comme Tau Boötis b offrent une occasion sans précédent d’analyser la formation des planètes géantes, souligne le coauteur de l’étude Björn Benneke, professeur d’astrophysique et directeur de thèse de Stefan Pelletier à l’Université de Montréal. La composition de cette planète géante nous donne des indices sur le lieu et la manière dont elle s’est formée.»
La clé pour révéler le lieu et le mécanisme de formation des planètes géantes se trouve en effet dans la composition moléculaire de leur atmosphère. La température extrême des Jupiter chaudes permet à la plupart des molécules de leur atmosphère d’exister sous forme gazeuse, ce qui les rend détectables par les instruments scientifiques mis au point récemment. Les astronomes peuvent donc établir avec précision le contenu de leur atmosphère.
«Dans notre Système solaire, Jupiter et Saturne sont très froides, poursuit Björn Benneke. Certaines molécules comme l’eau sont gelées et cachées dans les profondeurs de leur atmosphère. Nous en savons donc très peu sur leur abondance. L’étude des Jupiter chaudes nous permet de mieux comprendre nos propres planètes géantes. La faible quantité d’eau sur Tau Boötis b pourrait, par exemple, signifier que Jupiter est également plus sèche que nous le pensions auparavant.»
Tau Boötis b est l’une des premières planètes étudiées avec le nouvel instrument SPIRou, mis au point par des chercheurs de plusieurs établissements scientifiques, dont l’UdeM. Il a été installé au télescope Canada-France-Hawaii et a récemment été mis en activité.
«Ce spectropolarimètre peut analyser la lumière thermique d’une planète − c’est-à-dire la lumière émise par la planète elle-même − dans une très large gamme de couleurs et avec une résolution qui permet d’identifier de nombreuses molécules à la fois: eau, monoxyde de carbone, méthane, etc.», explique le coauteur Neil Cook, chercheur à l’iREx et expert de l’instrument SPIRou.
L’équipe a passé 20 heures à observer l’exoplanète Tau Boötis b avec SPIRou entre avril 2019 et juin 2020: «Nous avons mesuré l’abondance de toutes les principales molécules qu’elle contient qui incluent soit du carbone ou de l’oxygène, rapporte Stefan Pelletier. Comme ce sont les deux éléments les plus abondants dans l’Univers, après l’hydrogène et l’hélium, cela nous donne une image très complète du contenu de l’atmosphère de cette planète gazeuse.»
La méthode qui est généralement utilisée pour étudier l’atmosphère des exoplanètes n’est utilisable que pour les planètes qui «transitent», c’est-à-dire celles qui passent devant leur étoile de notre point de vue de Terrien, provoquant une diminution périodique de la lumière qu’on reçoit de l’étoile. Ce n’est pas le cas de Tau Boötis b.
«C’est la première fois que nous obtenons des mesures aussi précises sur la composition atmosphérique d’une exoplanète qui ne transite pas. Ce travail ouvre la voie à l’étude approfondie de l’atmosphère d’un grand nombre d’exoplanètes, étant donné que la plupart ne transitent pas devant leur étoile», mentionne la doctorante Caroline Piaulet, également coauteure de l’étude.
L’analyse de Stefan Pelletier et de ses collègues les a amenés à conclure que la composition atmosphérique de l’exoplanète Tau Boötis b comporte environ cinq fois plus de carbone que le Soleil, soit une quantité semblable à celle mesurée pour Jupiter.
Cela pourrait être un indice que les Jupiter chaudes pourraient se former bien plus loin de leur étoile hôte que là où elles se trouvent présentement, à des distances analogues à celles des planètes géantes de notre Système solaire. Elles auraient simplement connu une évolution différente, incluant une migration vers leur étoile.
«D’après ce que nous avons appris pour Tau Boötis b, il semblerait que, du moins du point de vue de la composition, les Jupiter chaudes ne sont pas si différentes des planètes géantes de notre Système solaire après tout», conclut le chercheur
L’article «Where is the Water? Jupiter-like C/H ratio but strong H2O depletion found on Tau Boötis b using SPIRou», par Stefan Pelletier et ses collègues, a été publié le 28 juillet 2021 dans l’Astronomical Journal.
Outre Stefan Pelletier, Björn Benneke, Neil Cook et Caroline Piaulet, l’équipe comprend les membres de l’iREx Antoine Darveau-Bernier, Anne Boucher, Louis-Philippe Coulombe, Étienne Artigau, David Lafrenière, Simon Delisle, Romain Allart, René Doyon, Charles Cadieux et Thomas Vandal, tous basés à l’Université de Montréal, et sept autres coauteurs de France, des États-Unis, du Portugal et du Brésil.
Le financement de l’étude a été assuré par le programme CREATE Technologies for Exo-Planetary Science, le Fonds de recherche du Québec − Nature et technologies, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, la Fondation de la famille Trottier et l’Agence nationale de la recherche française.
Marie-Eve Naud
Coordonnatrice à l’éducation et au rayonnement, Institut de recherche sur les exoplanètes
Université de Montréal
514-279-3222, marie-eve.naud@umontreal.ca
Stefan Pelletier (premier auteur)
Étudiant au doctorat, Institut de recherche sur les exoplanètes
Université de Montréal, Montréal, Canada
stefan.pelletier@umontreal.ca
Björn Benneke (co-auteur)
Professeur, Institut de recherche sur les exoplanètes
Université de Montréal, Montréal, Canada
514-578-2716, bjorn.benneke@umontreal.ca